Les tarifs réglementés de l'électricité : une envolée qui soulève des questions sur les raisons derrière cette hausse et les perspectives d'avenir.
Jusqu'où les tarifs de l'électricité vont-ils grimper ? Malgré les aides de l'Etat, les souscripteurs du tarif réglementé (TRVE), le fameux "tarif bleu" d'EDF, voient le prix du kilowattheure (kWh) atteindre des niveaux historiquement hauts. Cette offre est souscrite par près de deux tiers des foyers français, soit plus de 20 millions de ménages. Tous ont l'avantage d'être protégés depuis 2022 par le bouclier tarifaire mis en place pour contenir le boom du coût de l'énergie.
Or, malgré cette protection, les factures sont de plus en plus douloureuses. Et l'addition pourrait continuer à s'alourdir en 2024. La Commission de régulation de l'énergie (CRE) table notamment sur une hausse de 10 à 20% au début de l'année prochaine. Un scénario toutefois exclu mi-septembre par Bercy. Dans ce contexte, et alors que la régulation du nucléaire va prendre fin, Matignon a fixé le 23 septembre un ultimatum de deux semaines au patron d'EDF pour définir un nouveau prix moyen de l'électricité le plus bas possible, rapporte Le Figaro. Mais dans quelle mesure l'électricité coûte-t-elle déjà plus cher pour les abonnés ces dernières années ?
Une flambée des tarifs en 2023
Les tarifs réglementés de l'électricité sont fixés par l'Etat. Ils peuvent faire l'objet de réévaluations chaque année, en général en février et en août. Pour mesurer leur évolution depuis dix ans, franceinfo a calculé la facture annuelle d'un logement de 70 m2 avec ou sans chauffage électrique (voir les graphiques qui suivent). Les consommations moyennes en kWh sont issues des simulations publiées par le comparateur Selectra. Les tarifs ont été calculés à partir de l'historique des tarifs réglementés, tenu par la CRE. Le résultat montre une forte envolée des prix en 2023.
La facture annuelle du foyer avec chauffage électrique, avec une tarification en heures creuses et en heures pleines, est passée de 2 179 euros en août 2021 à 2 891 euros deux ans plus tard. Cela représente une hausse de près de 33%.
Dans le cas du logement sans chauffage électrique, avec un tarif de base (c'est-à-dire un prix identique quelle que soit l'heure de la journée), l'addition est passée de 367 euros en août 2021 à 484 euros en août 2023, soit une hausse de 32%. De telles envolées n'avaient jamais été observées ces dix dernières années. Et elles sont principalement dues aux réévaluations décidées en 2023.
Des hausses contenues par le bouclier tarifaire
La hausse des tarifs réglementés de l'électricité aurait pourtant pu être beaucoup plus importante, comme le souligne François Carlier, délégué général de l'association de consommateurs CLCV. "Lorsque l'on regarde les hausses stratosphériques dans les autres pays européens, on ne peut pas dire que nous soyons mal lotis du point de vue strictement tarifaire", tempère-t-il auprès de franceinfo.
Le bouclier tarifaire instauré en février 2022 a effectivement permis de contenir l'envolée des prix sur les marchés de gros, où l'électricité est négociée avant d'être revendue aux clients. Pour mesurer l'effet de ce bouclier, il suffit de rapprocher les hausses effectives avec celles qui auraient théoriquement dû s'appliquer selon la CRE, l'autorité administrative indépendante chargée de calculer les prix.
La hausse moyenne des tarifs réglementés n'a ainsi été que de 4% en 2022, le plafond fixé par l'Etat, alors que la CRE préconisait une augmentation de plus de 35%. Cette très forte hausse était alors justifiée, entre autres, par la forte reprise de l'activité économique après la pandémie de Covid-19 ainsi que par la faible disponibilité du parc nucléaire français, qui mettait à mal la production.
La protection de l'Etat ne devait durer que le temps d'un hiver. Mais c'était compter sans un nouvel affolement des marchés provoqué par la guerre en Ukraine, couplé à l'arrêt de plusieurs réacteurs pour des problèmes de corrosion. Face à la menace d'une nouvelle flambée des prix, le gouvernement a donc décidé de maintenir son bouclier, potentiellement jusqu'en 2025. Ce qui a permis jusqu'ici de contenir la hausse des tarifs réglementés à 15% en février, alors que la CRE avait calculé une augmentation de... 99%. Puis en août, la hausse du tarif réglementé a pu être de nouveau amortie à 10%, au lieu des 74,5% préconisés.
Vers de nouvelles hausses en 2024 ?
Mais jusqu'à quel niveau le tarif réglementé, bien que protégé, va-t-il continuer d'augmenter ? La question se pose après les annonces d'Emmanuelle Wargon, présidente de la CRE. "On sera dans une zone de 10, 20% en gros", a-t-elle déclaré le 14 septembre à propos des hausses à prévoir pour février 2024. Une déclaration qui a suscité une réaction quasi immédiate de Bruno Le Maire, qui a immédiatement rejeté l'hypothèse d'une telle augmentation. "Une augmentation des tarifs de l'électricité de 10 à 20%, comme indiqué par la présidente de la CRE, début 2024, est exclue", a coupé court le ministre de l'Economie.
Reste que la sortie progressive du bouclier tarifaire a déjà été amorcée depuis cet été, avec une baisse de la part remboursée par l'Etat aux fournisseurs (de 44% à 37% depuis le 1er août). En juillet, Gabriel Attal, alors ministre délégué aux Comptes publics, avait déclaré que sortir "progressivement du bouclier tarifaire" d'ici 2024 était nécessaire pour "faire des économies". Au total, cette aide de l'Etat aurait déjà coûté 11,5 milliards en 2022 et 17 milliards cette année, selon Le Figaro.
Les experts semblent pour leur part plutôt miser sur une poursuite à la hausse des prix de l'électricité. "L'analyse de la CRE traduit bien la réalité des tensions", explique à franceinfo Patrice Geoffron, professeur d'économie à l'université Paris Dauphine. Pour ce spécialiste des questions énergétiques, le gouvernement est dans son rôle lorsqu'il cherche à rassurer. "Il a une gestion politique du prix de l'électricité, qui est une variable particulièrement sensible", ajoute le chercheur. Mais pour l'économiste, il n'y a pas de raison d'observer une diminution des tarifs, bien au contraire. "Le déploiement de renouvelables, le grand carénage du parc nucléaire, les investissements dans les réseaux... Tous les facteurs sont à la hausse", prévient Patrice Geoffron.
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