Guerre entre Israël et le Hamas : en Cisjordanie occupée, un inquiétant regain de violences après les attaques du 7 octobre

 

Dans ces territoires contrôlés par l'armée israélienne, au moins 58 Palestiniens ont été tués et plus de 1 200 ont été blessés en dix jours, selon les autorités. "C'est comme une cocotte-minute", alerte un humanitaire.

Ils ont exprimé leur colère après l'explosion meurtrière à l'hôpital al-Ahli Arabi de Gaza mardi 17 octobre. En Cisjordanie occupée, de Ramallah à Naplouse, des centaines de Palestiniens ont manifesté mardi soir, dénonçant entre autres "l'injustice" et "la douleur du peuple de Gaza""L'Autorité palestinienne n'est même pas capable de protéger son peuple face à toute cette oppression !""Dégage !""Le peuple veut la chute du président !", ont ainsi clamé les manifestants. Plusieurs affrontements ont éclaté avec les forces de l'ordre en marge de ces rassemblements, qui ont repris mercredi en Cisjordanie.

Depuis l'attaque meurtrière du Hamas en Israël, qui a fait plus de 1 400 morts et provoqué une réplique israélienne ayant tué plus de 3 000 personnes dans la bande de Gaza, la situation est particulièrement tendue dans cette région occupée depuis 1967. En Cisjordanie, territoire comptant quelque trois millions de Palestiniens et environ 500 000 colons juifs israéliens, au moins 58 Palestiniens ont été tués et plus de 1 200 ont été blessés en dix jours, d'après le ministère de la Santé. Un bilan évoqué par l'ONU, qui s'inquiète "d'une violence en recrudescence".

Des violences quotidiennes

"La situation était déjà très tendue avant, mais après le 7 octobre, ces tensions sont devenues encore plus fortes", résume Allegra Pacheco, cheffe de projet au sein du West Bank Protection Consortium, un réseau d'ONG internationales agissant en Cisjordanie. "C'est comme une cocotte-minute. La vapeur et la pression peuvent provoquer une explosion, et nous sommes à la veille de cela", alerte également Roy Yellin, de B'Tselem, le centre d'information israélien pour les droits de l'homme dans les territoires occupés.

Selon un habitant interrogé par l'AFP, "les soldats israéliens et les colons ouvrent facilement le feu pour se venger de ce qui se passe". Dans le village de Beita, près de Naplouse, un soldat israélien a par exemple tiré sur un jeune homme. Des affrontements avec les forces israéliennes ont entraîné la mort d'au moins neuf Palestiniens vendredi, lors de manifestations en soutien à Gaza, d'après le ministère palestinien de la Santé.

Selon des journalistes de l'AFP, de violents heurts ont eu lieu à Ramallah, à Naplouse, à Hébron ou encore à Tulkarem. Plusieurs dizaines de personnes ont été blessées, a rapporté le Croissant-Rouge palestinien. Les affrontements entre Palestiniens et forces israéliennes ont aussi fait des blessés parmi ces dernières. A Jérusalem-Est, deux policiers israéliens ont été blessés par balles jeudi, avant que l'assaillant ne soit abattu.

"La situation est très sérieuse pour la Cisjordanie. Nous n'avions pas vu cela depuis la deuxième Intifada, au début des années 2000. La violence a augmenté partout."

Des Palestiniens sont aussi ciblés par des colons israéliens en Cisjordanie, dont la présence est illégale aux yeux de l'ONU. D'après le Bureau de la coordination des affaires humanitaires des Nations unies,  "la violence des colons est en hausse, particulièrement dans des communautés palestiniennes proches des colonies israéliennes". En 11 jours, l'agence onusienne a recensé 82 attaques de colons entraînant des blessures ou des dommages matériels. Cela représente en moyenne sept attaques par jour, "contre une moyenne de trois attaques par jour depuis le début de l'année". Et pour Allegra Pacheco, ces données "n'incluent pas les faits de harcèlement, de menaces et d'intimidation qui ont lieu" au sein du territoire occupé.

Depuis le 7 octobre, B'Tselem a documenté environ 45 actes de menaces, d'attaques physiques, de vols ou encore de dommages à la propriété visant des Palestiniens. Pour près de 30 d'entre eux, les auteurs présumés sont des colons, d'après la base de données du centre consultée par franceinfo. "Des colons vont voir des familles palestiniennes et leur disent : 'Vous avez 24 heures pour partir ou nous allons vous faire du mal'", affirme Roy Yellin. "Ils limitent l'accès à l'eau, détruisent des récoltes..." Selon le ministère palestinien de la Santé, une "attaque de colons contre la ville de Qusra" a même entraîné la mort de quatre Palestiniens le 11 octobre. "Il y a une incitation à la violence, avec un agenda stratégique pour pouvoir reprendre des parties de la Cisjordanie", appuie Allegra Pacheco. 

Un territoire divisé en enclaves

Sur WhatsApp, des groupes de colons israéliens ont émergé dans les heures qui ont suivi l'assaut du Hamas, afin d'organiser des actions en Cisjordanie, rapporte The Times of IsraelLe journal cite notamment un groupe comptant 800 membres, et dont la description évoque "la possibilité de se mobiliser pour une activité conjointe avec les forces de sécurité, pour la démolition immédiate des maisons des terroristes". Samedi, le porte-parole de l'armée israélienne Daniel Hagari a toutefois rappelé que "la responsabilité de la sécurité dans les colonies et sur les routes incombe uniquement à l'armée".

En réaction aux attaques, l'armée israélienne a renforcé son contrôle des déplacements en Cisjordanie. "Elle a installé des obstacles physiques, des blocs de béton, des barrières bloquant des routes reliant des villages palestiniens aux principales villes", illustre Allegra Pacheco, soulignant que "ces restrictions ne bloquent pas les colonies, mais les civils palestiniens". Auprès de RFI, le directeur de l'ONG Bisan témoigne : "Les Israéliens ont coupé la Cisjordanie en petites enclaves et nous n'étions même plus autorisés à nous déplacer d'une ville à une autre. (...) L'ensemble des échanges du commerce intérieur a été stoppé." Dans le camp de Jénine, dans le nord de la Cisjordanie, des chevaux de frise ont été installés pour éviter le passage de blindés de l'armée israélienne, et des militants armés surveillent les lieux, note Le Monde.

Plus présentes, les forces israéliennes ont en outre procédé à une série d'arrestations dans ces territoires. "Environ 470 Palestiniens de Cisjordanie, pour la plupart des gens du Hamas, ont été mis en détention administrative", a rapporté le Club des prisonniers palestiniens, cité par l'AFP. "On n'avait pas vu une campagne d'arrestations de cette ampleur depuis des années en Cisjordanie." A travers cette région, le soutien au Hamas reste assez majoritaire : 52% des Palestiniens vivant en Cisjordanie ont une opinion plutôt positive du mouvement islamiste et terroriste, d'après une étude du cercle de réflexion Washington Institute for Near East Policy.

La crainte d'une crise humanitaire

Depuis Jérusalem, Adam Bouloukos, directeur de l'agence de l'ONU pour les réfugiés palestiniens au Proche-Orient (UNRWA), témoigne d'une Cisjordanie "découpée en villages, en villes et en routes désormais complètement isolés et séparés les uns des autres". Les quelque 3 700 employés de l'organisation onusienne en Cisjordanie ne peuvent pas quitter leurs villages ou leurs villes, quand de nombreux Palestiniens n'ont plus accès à leur travail du fait de ces restrictions.

"Environ 100 000 habitants de Cisjordanie sont désormais sans travail. Ils se rendaient en Israël chaque jour, et ils ne peuvent plus le faire."

D'autres habitants ne peuvent plus se déplacer d'une ville à l'autre pour travailler, poursuit-il, évoquant "un impact économique immédiat". Plusieurs centaines de personnes – au moins 545, selon un dernier bilan de l'ONU jeudi – ont également été déplacées de force en Cisjordanie ces 11 derniers jours, du fait de menaces ou d'attaques de colons en progression. Des communautés bédouines ont été touchées, par exemple à Wadi Siq, à l'est de Ramallah.

L'UNRWA parvient à poursuivre une partie importante de son travail en Cisjordanie, mais du fait des restrictions de circulation, "nous ne pouvons pas apporter une réponse à cette communauté bédouine qui a perdu ses habitations à Wadi Siq", alerte Adam Bouloukos. Si ces blocages persistent, "les choses vont devenir un peu plus problématiques". 

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