La France se prépare à une vague de licenciements et de faillites sans précédent
Les entreprises les plus touchées par la crise ne résisteront pas au choc. Des milliers de plans sociaux, avec des cortèges de suppressions d’emplois à la clé, sont redoutés à la rentrée.
Même si le gouvernement injecte chaque mois des dizaines de milliards d’euros pour tenter de sauver l’économie tricolore, il ne pourra éviter l’inévitable: la multiplication des licenciements et plans sociaux dans les entreprises qui ne résisteront pas à la plus forte récession depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale. Lorsque la France s’est confinée en mars, Emmanuel Macron avait pourtant annoncé qu’«aucune entreprise» ne serait livrée «au risque de faillite». Mais voilà, en cette phase de déconfinement progressif, l’exécutif prépare désormais les esprits au contraire. «Il y aura des faillites et il y aura des licenciements dans les mois qui viennent» , a ainsi averti le ministre de l’Économie, Bruno Le Maire au micro d’Europe 1, la semaine dernière.
Pour l’heure, la vague de licenciements n’a pas encore submergé l’économie française. Du 1er mars au 17 mai, seuls 53 plans de sauvegarde de l’emploi (PSE) ou plans sociaux — obligatoires dans les entreprises de 50 salariés minimum, à partir de 10 licenciements — ont été initiés, pour 2853 suppressions de postes. Le nombre d’inscrits à Pôle emploi a certes, progressé de 7,1% en mars mais cela s’explique essentiellement par le non-renouvellement des contrats courts ou des reports d’embauches.
Les avocats sollicités
La France semble donc jusqu’à présent épargnée par les licenciements. Et pour cause, l’économie s’est retrouvée pendant deux mois dans une forme de léthargie largement entretenue par l’État. L’exécutif a mis sous perfusion plus d’un million d’entreprises, avec son plan d’urgence de 110 milliards d’euros qui inclut le très coûteux dispositif de chômage partiel. Ces actions, qui pèsent lourd pour les finances publiques, ont permis d’éviter «une vague massive de licenciements», avançait fin avril la ministre du Travail, Muriel Pénicaud. Mais le plus dur reste à venir. Bon nombre de personnes mises à l’arrêt et dont la rémunération a été subventionnée par de l’argent public — un salarié sur trois dans le privé! — risquent maintenant de perdre leur emploi.
II y aura des licenciements, c’est certain. Mais aujourd’hui, on ne peut pas en connaître l’ampleur
François Asselin, président de la CPME
«Tous les indicateurs montrent une chute de la production très forte, des trésoreries très atteintes et des répercussions sur l’emploi. Je crains que les licenciements en nombre soient inévitables», juge Raymond Soubie, président du cabinet de conseil en ressources humaines Alixio et ancien conseiller social de Nicolas Sarkozy à l’Élysée. «II y aura des licenciements, c’est certain. Mais aujourd’hui, on ne peut pas en connaître l’ampleur», confirme François Asselin, président de la CPME. Il n’empêche, les employeurs n’ont pas attendu longtemps pour se tourner vers les avocats. «Dès le début du confinement, des entreprises m’ont sollicitée pour préparer des plans sociaux dans les secteurs les plus touchés, comme la restauration et l’hôtellerie», confie Isabelle Mathieu, avocate associée chez Daem Partners.
e véritable coup de massue pourrait arriver dans les prochaines semaines, après la diminution progressive de la voilure du chômage partiel dans les secteurs dont l’activité a pu redémarrer. «La phase la plus difficile est devant nous car il va falloir sortir du chômage partiel. L’État va continuer de faire fonctionner le dispositif mais sans maintenir le niveau d’aides actuel. Le choc va donc être très fort sur les entreprises et sur les salariés», juge Raymond Soubie. Petit à petit, les employeurs touchés par la crise vont devoir assurer financièrement les salaires et les charges de l’entreprise sans pour autant retrouver un niveau normal d’activité.
«Crises de liquidité»
«Dans cette phase de redémarrage, les entreprises pourraient être confrontées à de véritables crises de liquidité», prévient Hector Arroyo, partner en restructuration au sein du cabinet Baker McKenzie.
Lors de la crise de 2008, les plans de sauvegarde avaient bondi et s’étaient étendus sur près de dix-huit mois. On en comptait 1052 en 2008 puis 2241 en 2009. Cette fois, c’est à partir de la rentrée de septembre que l’hécatombe est attendue. Pour les entreprises déjà affaiblies, notamment par la crise des «gilets jaunes» puis par les grèves contre la réforme des retraites, les licenciements individuels et les plans sociaux s’annoncent difficilement contournables. Pour preuve, les enseignes comme André, Naf Naf et Alinéa ont déjà été placées en redressement judiciaire. De son côté, Renault devrait tenir, jeudi prochain, une réunion de crise avec les syndicats. «Quant aux entreprises qui ont réussi à maintenir la barre grâce aux aides de l’État, elles attendent au minimum la rentrée avant de prendre la décision de licencier ou pas. Elles souhaitent voir si leur activité va suffisamment reprendre et à quelle échéance», précise Deborah David, avocate associée au cabinet De Gaulle Fleurance et associés.
Il reste que le gouvernement, qui a apporté un soutien financier massif, ne validera certainement pas des plans sociaux les yeux fermés. Bien au contraire. «Depuis la loi el Khomri, les licenciements économiques sont plus souples. Toutefois, les entreprises qui ont perçu des aides de l’État risquent de devoir sérieusement justifier leurs plans sociaux», avertit l’avocate Isabelle Mathieu. Conscient du risque, le ministère du Travail assure travailler actuellement à de nouveaux dispositifs en amont des PSE pour limiter les licenciements.
Des APC par prévention
Pour l’heure, certaines entreprises essaient surtout préventivement de se réorganiser pour justement éviter des procédures de licenciement lourdes et coûteuses. Et, «l’accord de performance collective (APC) est le meilleur outil qui permet de s’adapter face à une crise conjoncturelle», estime Deborah David. Prévus dans les ordonnances Pénicaud, les APC signés à la majorité des syndicats offrent la possibilité aux entreprises de revoir temporairement les conditions de travail des salariés. «Avec les APC, on peut descendre jusqu’au smic mais ça ne se passe jamais comme ça. On vient plutôt raboter des RTT, augmenter la durée du travail, ou faire travailler quelques jours fériés», précise Olivier Angotti, avocat associé chez FTMS.
«Le dialogue économique sera clé sur les efforts à consentir pour le maintien de l’emploi et il sera fondamental de connaître les intentions des employeurs, avertit déjà Marylise Léon, la secrétaire générale adjointe de la CFDT. Et les PSE doivent être le dernier recours.» Voilà qui est dit.
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